Chapitre 1 : L’Argile brute du Nil
Le soleil, tel un œil de Rê encore brûlant, martelait les briques crues du village, près de Kom Ombo. Mais l’enfant ne le sentait pas. Khnoumhotep était un monde en soi, agenouillé dans la fraîcheur de la vase, ses bras nus, immergés jusqu’aux coudes dans l’étreinte sombre du Nil. Ses doigts, agiles et patients, palpaient la boue, à la recherche du bleu sacré des carapaces de scarabées. C’était un bleu vibrant, une couleur que la terre seule pouvait donner Un bleu profond, constellé de promesses, qui portait en lui le souffle du renouveau. Il savait que ces créatures rares et insaisissables vivaient au seuil du monde des vivants et celui des ancêtres. Le clapotis de l’eau, le chant rauque des pêcheurs : voilà la mélodie de sa quête.
L’odeur de la vase, riche et puissante, se mêlait à celle plus délicate des lotus, créant un parfum capiteux qui enivrait l’enfant. Il y avait dans cette boue la vie et la mort, un cycle éternel que son cœur d’enfant comprenait sans mot. De la boue, on construisait les maisons. De la boue, on tirait la subsistance. Elle était le creuset de l’existence.
Soudain, ses doigts rencontrèrent une résistance, dure et lisse. Une forme qui n’aurait pas dû être là. Avec une délicatesse infinie, il dégagea l’objet. C’était une petite statuette d’Hathor, érodée par le temps. Le sourire bienveillant de la déesse était encore visible. Le marbre blanc semblait vibrer d’une chaleur anormale entre ses mains, un murmure silencieux parcourut tout son être, comme un présage. Il serrait la statuette contre sa poitrine, sentant une vibration se propager en lui, un écho d’une histoire très ancienne, bien plus vaste que le Nil.
Le soleil se voile d’un coup. Le ciel s’assombrit. Une ombre immense glissa sur l’eau et recouvrit Khnoumhotep. L’éclat de la statuette s’éteint. L’enfant releva la tête. Il la vit. Elle était là. Née de l’ombre projetée des roseaux, une figure féminine se dressait sur la rive. Une apparition inattendue, une vision de pureté et de mystère. La prêtresse. Son lin, d’une blancheur immaculée, reflétait les dernières lueurs du soleil couchant, comme si elle seule pouvait capter leur essence. Ses yeux, d’un noir profond, ne le regardaient pas seulement, ils le lisaient, comme un papyrus sacré, un texte dont il était encore loin de comprendre le sens.
Elle se nommait Meritites, et son nom se chuchotait avec un mélange de respect et de crainte, tel un vent puissant mais invisible qui s’enroulait autour de l’âme des villageois. Elle s’approcha, sa démarche était silencieuse, fluide. Son être semblait tissé de silence et de lumière. Khnoumhotep, le cœur battant, lui tendit la statuette d’Hathor, incapable de voir en elle une simple femme de chair.
« Le fleuve t’a parlé, enfant, » dit-elle, sa voix était douce, et sans effort, elle portait par-dessus le murmure de l’eau. « Le fleuve te parle… »
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