Chapitre 1 : La Trame du Lotus

Le soleil, vaste gourde d’or incandescent, déversait ses flammes sur les pierres millénaires du temple de Philae. La lumière, déjà profonde et dorée en cette heure avancée, filtrait à travers les colonnes massives ; elle sculptait des jeux d’ombres sur les reliefs usés par le temps, les faisant presque onduler, danser.

L’air crépitant d’une énergie ancienne au-dessus du Nil entourait de mystère l’auguste temple de pierre. Pour Ipy, il vibrait comme un souffle pétrifié, une respiration chaude et vivante. Cette respiration frémissante remontait de la plante de ses pieds nus, le long de ses membres. Comme une sève sacrée qui faisait résonner son cœur au rythme lent de ses pas. Ipy aimait venir ici afin de s’absorber, de ressentir chaque parcelle de cette présence, au-delà de toute prière formelle. Le temple lui parlait par de subtiles murmures de sensation brute : la fraîcheur glaçante du granite sous ses doigts, le parfum lourd et entêtant de l’encens qui s’accrochait aux pierres poreuses, et ce murmure incessant, un écho d’un autre temps, porté par le vent qui sifflait entre les roseaux séchés, un chant oublié.

Aujourd’hui, l’air était chargé d’une tension inhabituelle, une pression sourde que seule Ipy semblait capter pleinement. Ta-usert, la prêtresse tisserande, était assise devant un métier à tisser complexe, une figure imposante dont le visage buriné par le soleil semblait capable de percer le voile du temps et de lire les destins dans les fils. Autour d’elle, les autres apprenties travaillaient, leurs doigts agiles reproduisant des motifs canoniques avec une discipline silencieuse, presque ritualisée. Leurs mouvements étaient précis, réglés, dénués de la moindre hésitation.

Ipy, assise à l’écart, abandonnait ses doigts au ballet des brins de papyrus. Elle savourait la sensation des tiges vertes et fragiles, leur fraîcheur humide et la manière dont elles se pliaient à sa volonté, se métamorphosant sous ses gestes en un réseau de fibres délicat. Son travail était une île solitaire au milieu de l’océan de la tradition, une douce rébellion silencieuse. Elle percevait le soupir agacé de Henut, dont les doigts, bien que vifs, crispait le fil de lin. Henut, vouant un culte fervent à la règle et à la symétrie parfaite, ne pouvait dissimuler son agacement face à la liberté audacieuse du tressage d’Ipy, qu’elle percevait comme une hérésie silencieuse. Un peu plus loin, Nefertari – dont les yeux, à l’occasion, lorgnaient le travail d’Ipy – révélait une lueur d’admiration teinté d’incompréhension. Cette petite société, tissée de rivalités discrètes et de jugements muets, semblait glisser sur elle, sans jamais l’atteindre vraiment. Ipy, elle, suivait une mélodie intérieure que seule elle semblait percevoir.

Puis le silence changea. Il devint plus lourd, plus dense. Il se transformait lentement, de silence du travail, il devint celui de l’attention focalisé. Ipy leva la tête. Le regard de Ta-usert était posé sur elle. Le cliquetis régulier des métiers à tisser sembla se suspendre, comme si toutes les apprenties retenaient leur souffle. L’attention de la grande prêtresse n’était jamais anodine ; elle était un jugement ou une prophétie.

« Ipy, » la voix de Ta-usert tomba sur elle comme une perle froide dans l’air chaud. Dénuée de dureté, elle portait le poids d’un destin. « Montre-moi ce que tu as fait. »